
L’Érythrée est un pays indépendant depuis l’année 1993 à la suite d’un référendum encouragé par l’ONU. Cette nation erre depuis entre les difficultés politiques et sociales, bloquée par les sanctions de la communauté internationale.
Nous allons voir pourquoi la situation actuelle persiste et en quoi son histoire durant les deux siècles précèdents impactent encore de nos jours la population érythréenne, tout en déstabilisant la situation géopolitique dans cette région.

I. L’Érythrée au XIX ème siècle.
Ce siècle crucial posa les bases de ce pays instable et fragile sur bien des secteurs, ainsi, à travers la colonisation italienne, l’occupation britannique et des conflits sanglants, l’Érythrée voit aujourd’hui l’ombre de son passée planer sur ses contrées.
Cette période fut marquée par la résistance populaire, la guerre civile, mais aussi de violents conflits avec son voisin éthiopien.
L’Empire Abyssin
Durant la période médiévale, l’Empire Abyssinien exerçait une influence notable sur la région érythréenne, des parties intérieures aux hauts plateaux, cependant, cette influence n’était pas pour autant un contrôle direct et centralisé. Ainsi, la région avait un intérêt stratégique pour le commerce avec les Ottomans notamment, un véritable point de contact vers le monde extérieur et lointain.
La domination abyssinienne n’était pas totalement homogène, avec des alliances, des conflits, et surtout plusieurs mouvements culturels communs aux différents peuples.
- Du 13 ème au 16 ème siècle, nous retrouvons alors une période de régulation commerciale profitant à la santé économique de l’Empire Abyssin, via des échanges commerciaux, ou encore des accès aux routes maritimes cruciales pour l’époque.
- Du 17 ème au 19 ème siècle, l’Empire Ethiopien garda une influence certaine mais bien fragilisée à l’aube du 20 ème siècle, avec les ambitions colonisatrices provenant des grandes puissances européennes. La domination était alors moins centralisée mais toujours présente, surtout dans les zones intérieures.
À partir des années 1860, les italiens commençent à établir des communications et un intérêt grandi en raison des points commerciaux mais aussi stratégiques.
L’année 1869 est un tournant pour la région érythréenne et l’Empire, en effet, le port de la ville clé Massawa se retrouve sous contrôle italien, position stratégique sur la Mer Rouge, c’est ici le point de départ de ce qui deviendra, par la suite, l’expansion en Afrique de l’Est.
Treize ans plus tard, en 1882, l’Italie s’affirme comme puissance coloniale émergeante dans les prémices de la Seconde Guerre Mondiale, en signant un important accord de protectorat avec des chefs locaux régionaux, marquant alors le début de l’influence italienne directe dans les sphères d’intérêts du continent Africain.
1889, année charnière pour la suite des évènements, en effet, cette période est celle de la proclamation officielle de la colonie de l’Érythrée, à la suite de plusieurs décennies de combats plus ou moins directs, tel que des escarmourches ou des tensions politiques entre les forces armées italiennes et des chefs locaux érythréens, désirant résister aux campagnes d’expéditions militaires.
Le Traité de Uccialli signé entre l’Italie et l’empereur Menelik II, souverain de l’Éthiopie, accorde un protectorat aux italiens sur certaines régions de l’Éthiopie, c’est avec une mauvaise compréhension des termes du traité par les deux partis et une controversité certaine, que la situation s’enflamma alors. D’un coté, Menelik II y voyait une forme de reconnaissance de l’indépendance éthiopienne, tandis que les italiens, quant à eux, pensaient signer un accord permettant une extension de leur influence et par dessus toute chose un contrôle de l’Érythrée.
- Article 17 du Traité de Uccialli, ou le changement fatal de traduction. En effet, cet article vient stipuler dans la version amharique une reconnaissance de la souveraineté pour l’Éthiopie et les relations avec l’Italie comme deux échanges diplomatiques, en revanche, la version italienne était tout autre, allant jusqu’à faire de l’Éthiopie un protectorat italien. L’impératrice Taytu Betul inçita alors l’Empereur à lutter face à cet acte.
- Article 19, la concordance imparfaite. Nous retrouvons ici l’expression d’une traduction rendant ainsi le traité cohérent et identique pour les deux signataires, donnant alors une valeur égale. Ce qui est, pour les éthiopiens, loin d’etre le cas, de par la nature belliqueuse de ces articles, là où les italiens y verront une première colonie sur le continent Africain.
L’Italie viendra fonder la ville d’Asmara, capitale de sa colonie, avant d’y construire un réseau d’infrastrures coloniales, comme des chemins de fer ou encore des routes, en lien avec le commerce et les volontés d’expansion plus en profondeur dans les terres.
1895, la guerre italo-éthiopienne, ou le refus d’une colonisation brutale dans ce siècle fini. Après plusieurs batailles, c’est en 1896 que l’armée éthiopienne, alors sous le leadership de Ménélik II, infligea une défaite décisive aux italiens durant la bataille d’Adoua, après cet échec militaire, l’armée italienne mettra un terme, pendant un temps, à ses aspirations coloniales sur l’ensemble du territoire éthiopien. En revanche, l’Italie conservera tout de meme l’Érythrée.
Par la suite, les italiens commençeront le développement du territoire sous leur contrôle, avec l’introduction de réformes coloniales, la création d’infrastructures modernes ou encore le travail des plantations agricoles, bien souvent avec l’exploitation de la main-d’oeuvre locale.
- Le peuplement italien encouragé par le gouvernement d’Italie. Ce choix de colonisation a été fait à travers un soutien gouvernemental vis-à-vis de l’installation des colons sur les terres d’Érythrée, majoritairement dans des zones urbaines, ou encore dans la capitale Asmara. L’objectif était d’obtenir une population italienne constante et régulière, tout en transformant le paysage en place afin d’y installer des aires d’exploitation (agricoles, urbaines)
- Dans le but de faciliter le commerce maritime, le port de Massawa était au centre des modernisations, avec des installations portuaires nouvelles.
- Pour exploiter les ressources naturelles de la région, l’Italie autorisa ses entreprises à l’extraction et au traitement de ces dernières. La ville de Bisha, dans l’actuelle région de Gash-Barka, riche en cuivre, fut très exploitée, dans des conditions terribles pour la population locale.
- Concernant la vie sociale, durant l’occupation italienne, les érythréens vivaient sous les jougs des lois coloniales favorisant les italiens installés, au niveau du droit de vote ou encore pour la propriété des terres.
Ainsi, à la fin du 19 ème siècle, l’Éthiopie se retrouve amputée de la région érythréenne et en proie aux projets coloniaux venant d’Italie, l’Erythrée deviendra alors le point de départ pour la suite des évènements dans la Corne de l’Afrique, comme en Somalie, entre autres.
II. L’Érythrée du XX ème siècle, de l’occupation à l’indépendance.
Ferdinando Martini, homme politique et écrivain, débuta ce nouveau siècle en tant que gouverneur de l’Érythrée italienne. Il y avait en ce temps un paysage social plutôt complexe de par sa diversité culturelle et les groupes religieux influents, ainsi, la restructuration de Martini vascillait entre la volonté de transformer la colonie tout en évitant une révolte importante au sein de la région. Au début des années 1900, nous retrouvons en Érythrée italienne plusieurs groupes ethniques, comme les Tigréens, les Saho ou encore les Afars notamment. Tout ceci au milieu d’une diversification religieuse, entre la cohabitation chrétienne (Orthodoxie,Catholicisme) et les musulmans.
Ainsi, les deux révoltes locales venant des Tigréens et des Oromo ont été très fortement réprimées, en cette période, les autorités traditionelles avaient toujours un rôle majeur, bien que l’ambition italienne de s’immiscer dans la gestion administrative fut importante. Le climat ocsillait entre l’exploitation économique et la fin des libertés pour les populations de l’Érythrée. Concernant la politique sociale de Martini, il faisait en sorte d’appliquer une forme de cohabitation avec les élites locales, dans les zones urbaines comme dans la capitale Asmara, il y avait un nombre important d’érythréens employés aux gestions administratives italiennes, alors qu’au niveau des campagnes la vie sociale était moins mise en avant, aves des structures traditionelles.
Les italiens cherchaient à favoriser leurs sociétés au détriment des locaux, à travers plusieurs secteurs clés de l’économie, il y avait pour objectif l’introduction aux produits de luxe afin de produire un marché d’industries légères et un commerce facilement exploitable, seulement, l’Italie s’est retrouvée confrontée à des problèmes de main-d’oeuvre en raison de sa mauvaise gestion humanitaire, via des situations de vie rudes et une surexploitation. Une partie de la population désirait une coopération avec le gouverneur alors en place, espérant quelques opportunités financières, tandis que l’autre partie était en résistance face à l’emprise italienne, la région connaissant plusieurs conflits entre les deux camps, avec une domination des italiens. Pour maintenir l’ordre, comme dans les zones agricoles souvent en révolte à cause des taxes élevées et du travail forcé, Martini ordonna la réquisition des terres tout en militarisant ces endroits.
Nous avons donc, durant cette période, une politique sociale répressive avec une exploitation systématique de la population tout en essayant une forme de coopération avec les élites locales, de plus, malgré plusieurs projets de modernisation infrastructurelle ayant un impact positif mais mesuré sur le court terme, les quelques avantages économiques restaient réservés aux colons italiens.
Ces trente premières années sont définies par la perte d’autonomie pour les érythréens et un climat social au bord de la rupture, avec pour climax le conflit entre l’Italie et l’Éthiopie.
Seconde Guerre Italo-Ethiopienne
C’est ici un moment crucial pour l’histoire de l’Italie coloniale sur le sol africain, et principalement en Érythrée, de par sa position stratégique vers la Mer Rouge permettant le déploiement des forces armées italiennes, le transit de ces troupes ou encore des ressources nécessaires pour mener à bien l’invasion du territoire éthiopien. La capitale Asmara était alors le centre logistique des forces coloniales. Un réseau ferrovière entre la ville portuaire de Massawa et Asmara permettait le transport des infanteries vers différents points de contact au Tigré.
- La bataille de l’Enderta, du 10 au 19 février 1936, opposant l’Empire éthiopien au Royaume italien, est significative de par sa portée, marquant la percée italienne sur le front et dans l’intérieur des terres. Se terminant par une victoire des colons, l’Empire, mené par Moulougéta Yeggazou, un homme politique ayant participé par le passé à d’autres guerres, voit son armée défaite mais pas enclin à la réedition. Il se fera tuer durant la retraite suite à cette défaite militaire, il portait le titre de fitawrari, accordé au commandant de l’avant-garde dans l’armée. Au total, ce sont pas moins de 120 000 troupes qui se sont affrontées sur cette montagne d’Amba Aradom, avec 6 000 pertes pour l’Empire Éthiopien et 800 du coté Italien.
- Gondar novembre 1941, dernière bataille d’importance, fait conceder à l’Italie une défaite décisive dans sa domination coloniale sur cette région. En effet, les troupes italiennes commandées par le général Guglielmo Ciro Nasi sont forcées à se rendre le 27 novembre, il écrira, dans sa dernière dépeche envoyée en Italie, que la brigade de réserve a echoué à contenir l’attaque lancée sur le front sud, tout en mentionnant l’entrée des véhicules britanniques dans la ville, appuyés par les éthiopiens. Cet affrontement est un point de bascule vers une nouvelle période d’occupation, britannique cette fois, qui viendra durer jusqu’en 1951. On dénombre entre 10 000 et 15 000 soldats pour l’Italie, face à 20 000 troupes du coté des alliés, pour plusieurs milliers de blessés et 3000 pertes italiennes, des chiffres estimés supérieurs à ceux des forces alliées. C’est donc un échec total pour l’Italie, aussi bien sur le plan militaro-stratégique que politique.
La période britannique (1941-1951)
Objectif militaire clé en raison de la position stratégique majeure au coeur de la Seconde Guerre Mondiale, c’est dans ce contexte que le Royaume-Unie fera de l’Érythrée une région sous administration militaire. Avant la fédération avec l’thiopie, il y a eu, à travers cette nouvelle occupation, un impact social important, faisant rythmer la société érythréenne entre changements et contradictions.
Concernant l’aspect social et économique, les priorités changèrent, avec l’accent porté sur la gestion d’urgence en période de guerre, mettant ainsi plusieurs projets locaux en pause. Les effets positifs sont alors difficiles à constater de par le contexte. Le sujet de l’éducation était sur la table, cependant, malgré une base plus formel, il demeurait toujours concentré les besoins militaires et administratifs, avec pour volonté de former des fonctionnaires en capacité de travailler au sein de la nouvelle colonie britannique. Avec un système efficace pour les élites du pays, en dehors de la capitale Asmara ou des autres villes centrales, ce fut laborieux pour un grand nombre d’habitants, avec une éducation limitée. Ce nouveau fonctionnement du pays mena à une importante vague de migration vers les grandes villes ou dans certains territoires proches de l’Érythrée, au Soudan notamment. Il est notable de notifier que cette occupation apporta les premières graines de la résistance, d’où les mouvements indépendantistes émergeront par la suite.
- Nous avons certains points montrant un changement sous l’occupation britannique, tel que l’ouverture d’écoles, leurs réorganisations, avec un enseignement en anglais, bien qu’accessible à une minorité et centré sur les principaux axes du pays.
- D’un point de vue politique, il y a eu l’émergence de différents partis politiques, fait inédit car interdit sous l’occupation des italiens. Nous retrouvons alors le Parti de l’Union en faveur d’une union avec l’Éthiopie, mais aussi le Parti de la Ligue des Musulmans, qui, quant à eux, étaient opposés à l’union. De plus, une ouverture au niveau des médias voit le jour, avec l’arrivée de la presse locale.
- Enfin, le statut privilégié de la majorité des colons italiens expira, laissant alors nul autre choix que le départ pour ces derniers, de plus, les entreprises alors italiennes cèsserent et les ventes aux enchères explosèrent. Ces actions causèrent un ralentissement de l’économie industrielle, menant à une perte d’emploi pour moult d’érythréens.
Contrairement à la période de domination italienne, l’usage de plusieurs langues n’était pas proscrit, avec le tigrigna ou l’arabe au milieu des domaines administratifs et éducatifs.
Cette période est cruciale car on y retrouve les bases de ce qui sera ensuite une identité nationale, la naissance d’un pays, d’une histoire inscrite sur le drapeau.
Résolution 380 A de l’ONU, ou l’union fédérale
C’est ici un point clé pour l’avenir de la région, on retrouve dans cette nouvelle résolution de l’ONU le début d’un principe nouveau, mais surtout un questionnement quant à la suite des évènements pour l’Érythrée.
- La Fédération entre l’Éthiopie et l’Érythrée, établie en 1952, administre ce pays récemment sorti des mains du colonialisme à celles de leur voisin, les éthiopiens, cette province sous une forme d’autonomie relative, au fil du temps, voyait d’or et déjà son avenir se dessiner au prix du sang. En ce temps, la majeure partie du peuple vivait sous une grande pauvreté, avec une politique fiscale handicapante, du notamment à la gestion autoritaire au coeur de cette province, doucement mais surement réprimée par l’Empereur éthiopien Haïlé Sélassié. Ainsi, ce contexte économique couplé aux privations sociales mena à la création, dès la fin des années 1950, de plusieurs fronts de libération, avec le Front de Libération de l’Érythrée et celui du Front Populaire pour la Libération de l’Érythrée, principalement. Ce climat impacta fortement les populations de la région.
- Une modification des accords fédéraux par Haïlé Sélassié a progressivement fait perdre ce qui restait de l’autonomie érythréenne, avec une concentration du pouvoir entre les mains du gouvernement éthiopien. La situation était alors, de facto, une annexion officieuse. C’est à partir de 1961 que les différentes factions allaient se soulever pour lutter, gagner l’indépendance au milieu d’une idée naissante au coeur de la société, celle de fonder un état libre, faisant alors gagner le soutien populaire. La genèse d’un conflit de plusieurs décennies venait de se mettre en place.
- En 1962, Haïlé Sélassié décide d’abolir la Constitution établie dix années auparavant, mettant officiellement fin à la fédération. L’Assemblée érythréenne dissolue et le contrôle sur la région absorbé par Addis-Abeba, la guerre s’intensifie.
Le conflit pour l’Indépendance de l’Érythrée. (1961-1991)
Le FLE* se met en avant durant ce conflit, groupe de résistance soutenu par les émigrés érythréens et une grande partie de la population, de par son appel à l’autodétermination. D’autre part, le FPLE* voit sa grandeur grace à une bonne organisation militaire et des tactiques de guérilla cohérentes.
Ce sont les deux acteurs principaux du coté érythréen, en raison de la capacité à mener des opérations d’envergure, sans faiblir devant les années, tout en gardant l’objectif au centre des opérations. Les combats se sont déroulés sur l’ensemble du territoire de l’Érythrée.
En raison des combats en zones escarpées, la guerre s’enlisa longuement sur le plan militaire, avec des batailles coûteuses et prolongées.
Sur la scène diplomatique, plusieurs entités se sont positionnées en faveur de l’Érythrée, comme l’Égypte, la Libye ou encore l’Union Soviétique. Les États-Unis prendront, par la suite, parti pour le gouvernement éthiopien. Au total, ce sont plus de 100 000 à 150 000 personnes qui se feront tuer sur l’ensemble de cette guerre fratricide, parmi eux, des soldats, des guérilleros mais surtout des civils, la plupart des documentations étant mal renseignées à cette époque, les chiffres sont sous-estimés. Des batailles clés définiront le résultat de cette guerre, de Massawa à Afabet.
- Les batailles pour Massawa, lieu stratégique sur la Mer Rouge. Au cours de l’année 1977, une attaque menée principalement par le FLE marqua le début de cette première bataille sur la ville portuaire, avec pour but la fracture des lignes d’approvisionnement éthiopienne, ce fut un échec en raison du manque crucial de ressources, malgré quelques désorganisations sur les fortifications aux abords de la ville. C’est donc une première bataille pour Massawa significative et importante pour la préparation vis-à-vis de la seconde tentative qui surviendra plusieurs années après, démontrant de plus la capacité des guérilleros à se déployer autour d’un point précis. Avec cette ville, l’idée d’union prend forme, et les indépendantistes se voient ambitieux. Treize ans plus tard, les forces érythréennes reviennent à l’assaut de Massawa, avec un tout autre destin, une victoire symbolique et décisive, l’ouverture sur la Mer Rouge offrant alors les portes à un avenir aux horizons des vagues, signe de liberté. Ainsi, cette fois-ci la stratégie est tout autre, avec un bombardement massif des positions éthiopiennes et une privation d’approvisionnement par la voie maritime. Pour les forces d’Éthiopie, ce combat à une période si importante de la guerre est une priorité, étant alors un lien vital pour le transit en tout genre. Ce fut finalement une défaite irréversible pour les forces éthiopiennes, laissant un point clé pour la gestion interne, ceci dit, après la défaite, des attaques aériennes à l’aide de napalm et de bombes à sous-munitions continuèrent. Au total, ce sont neuf jours de combats acharnés, après le refus de capitulation, qui concluèrent cette bataille historique de Massawa, dénombrant 3000 pertes pour le FPLE et 9000 pour les éthiopiens, dont 8000 soldats capturés.
Une victoire d’autant plus importante dans la consolidation du positionnement des indépendantistes, apportant donc une légitimité certaine, tout en permettant d’affirmer un potentiel gain, qui surviendra à la fin de la guerre, en Mai 1991.
Isaias Afwerki, l’unique Président
Né le 2 février 1946 dans la capitale Asmara, Isaias est une figure de l’Érythrée, contrasté et surtout attaché au pouvoir. Cet homme à la tete du gouvernement émerge à travers la Guerre pour l’Indépendance qui amena les bases du pays, rangé dans les rangs du FLPE, Afwerki s’érige en véritable leader, il ira jusqu’à fonder une faction plus radicale mais aussi plus unifiée, durant l’année 1970, le Front Populaire pour la Démocratie et la Justice. Celle-ci lui permettra alors de renforcer son pouvoir au terme du conflit. Seulement, lors de l’indépendance du pays en 1993, Isaias, fort de son influence et de sa popularité au coeur de la société, se retrouve propulsé au sommet de ce nouvel état. Cette situation fera donc de lui le premier et surtout unique président à ce jour de l’Érythrée, et ce sans élection ni opposition politique marquée. Ainsi, après plusieurs années au sein du pouvoir de transition, l’élection présidentielle prévue pour 1997 n’aura jamais lieu, le gouvernement mettra en avant le contexte instable et, de cette manière, le besoin urgent de maintenir une cohérence relative tout en assurant une reconstruction post-guerre.
Le pays est aujourd’hui un État à parti unique, et dirigé de façon autoritaire, avec un service militaire subtil qui, dans les faits, s’assimile plutot à des travaux forcés.
Il est toutefois nécessaire de souligner que pour certaines personnes Isaias Afwerki est une grande image de la lutte pour le gain de la liberté, tandis que pour d’autres, son ombre est celle d’un dictateur. Son système est un des plus répressifs d’Afrique.
De plus, durant son règne, l’Érythrée est rentré en guerre frontalière avec l’Éthiopie à la fin du XX ème siècle, autour d’une ville statégique pour les deux camps, Badmé.
Le conflit à la frontière. (1998-2000)
Un 6 mai 1998, des soldats érythréens avancent dans la région de Badmé sous controle éthiopien, c’est alors que des échanges de coups de feu éclatent avec la police locale. Loin d’etre un évènement sporadique, cet acte précèdera une offensive de grande ampleur le 12 mai de la même année. Ainsi, après ce casus belli majeur, la guerre ne fait plus l’ombre d’un doute, la ville de Badmé mais aussi différentes localités au Tigre seront l’objet de l’agression érythréenne, la situation se transformant donc en guerre frontalière. Quelques mois plus tard, en février 1999, les forces éthiopiennes reprendront le controle de Badmé, après quates jours d’intensifs combats. Cette ville martyre est un symbole dans ce conflit qui prendra fin en décembre 2000, avec la signature d’un accord de paix à Alger, mettant officiellement fin aux hostilités. Les présidents Afwerki, Bouteflika mais aussi le Premier Ministre d’Éthiopie Meles Zenawi ou encore le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan furent présents lors de cette signature.

- En deux ans, les estimations portent un bilan humain (soldats) à 19 000 victimes selon l’Érythrée, contre 67 000 selon l’Éthiopie, contrastant alors la communication fournie par les deux camps. On porte tout de meme les chiffres à 70 000 pertes des deux cotés.
- La guerre se conclura avec une victoire éthiopienne sur le plan militaire et juridique au niveau international.
- Pour l’Érythée, la situation a connue un tournant encore plus important, avec des milliers de personnes déplacées, forçant la séparation entre de nombreuses familles. De plus, les tensions ethniques se sont alors accentuées entre les deux peuples, notamment en raison du déplacement forcé des érythréens originaires de l’Éthiopie, un traumatisme encore présent dans les mémoires.
- Concenant l’aspect économique, l’Érythrée a perdu un accès majeur aux marchés et aux voies commerciales en Éthiopie, via le port d’Assab principalement, important lieu de trafic. Le budget militaire en premier plan, c’est une mobilisation coûteuse et rapide qui mettra un frein au développement local, comme les investissements dans les secteurs sociaux. Enfin, en raison de l’isolement global, le pays est devenu fermé, limitant les relations internationales et l’aide extérieure.
- Politiquement parlant, c’est un conflit qui est venu renforcer l’autoritarisme du Président Afwerki, utilisant la guerre pour suspendre la Constitution, mais aussi reporter de manière indéfinitive les éléctions présidentielles, jusqu’à ce jour. En raison d’un service militaire sans fin, le pays fait face depuis les années deux milles à un exode massif des jeunes, ne voulant pas vivre sous le joug du gouvernement répressif. Prétextant une menace permanente venant d’Éthiopie, la surveillance est omniprésente, tandis que la liberté des médias ou la diversité du paysage politique est rare, voir inexistante.
- Diplomatiquement parlant, la guerre a rendue les relations avec l’Éthiopie très hostiles pendant près de vingt années, c’est en 2018 que la réconciliation viendra, bien que fragile. D’autre part, l’Érythrée est accusé par ses voisins de soutenir des organisations rebelles au coeur de la région, renforçant la bulle d’isolement formée autour du pays, avec un gouvernement mal vu par la communauté internationale, mettant l’accent sur des embargos en tout genre.
III. L’Érythée au XXI ème siècle, une population à bout de souffle.
C’est avec plusieurs siècles de souffrance et une grande division entre le peuple et le gouvernement que l’Érythrée aborde ce début de siècle, l’espoir offert par la signature de l’Accord d’Alger apporte le calme avec ses voisins, mais au sein de la société l’économie en dent de scie et les sanctions de la communauté internationale viennent poser un grand lot d’interrogations. Ainsi, avec un président axant le développement de sa nation sur l’aspect militaire, la paranoïa qu’il décide d’enclencher via le service militaire aura, encore de nos jours, des répercussions sur les différents secteurs érythréens.
La politique en place
Le paysage politique composé d’un seul et unique parti autorisé, le Front Populaire pour la Démocratie et la Justice, instaure le contexte actuel, où la répression est de mise, notamment en 2001 avec une purge significative du groupe G-15, visant certains membres du gouvernement, qui réclamaient plusieurs mesures, en vue d’une réforme démocratique. De plus, l’ONU met en avant une documentation au sujet des tortures, détentions arbitraires ou encore disparitions forcées de plusieurs adversaires potentiels. Le pouvoir est donc personnalisé autour d’une figure, Isaias Afwerki. La suspension de la Constitution adoptée en 1997 mène à une séparation des pouvoirs nulle, les élections n’ayant jamais lieu, mais aussi à un cadre juridique opaque, limitant alors toutes formes de libertés, civiles d’autant plus. Enfin, la volonté d’éviter une quelconque ingérence étrangère mène à l’expulsion de différentes ONG internationales comme Médecins Sans Frontières. Le gouvernement justifiant le risque d’ingérence venant de l’Occident et pronant la souveraineté nationale. Le pays est dirigé via des ordres exécutifs directs, du président ou de son cercle rapproché.
La démographie érythréenne
Cette nation comportant plus de 3,607,000 habitants est composée de six régions, qu’on nomme “zoba”, avec 36 habitants au km², occupant la 131 ème place au classement de la population totale établi par les Nations Unies. Le taux de mortalité étant de 6.05% quant à 28.54% pour la natalité, avec une espérance de vie allant jusqu’à 69 ans, contre 58 ans à l’aube de l’année 2000. La population vit majoritairement dans les zones rurales, avec 56% dans ces zones-là, contre 43% pour les endroits urbains. De plus, les habitants du pays sont globalement jeunes, 60% ayant entre quinze et et soixante ans, avec 1,825,727 Femmes pour 1,781,200 Hommes au coeur du territoire.
Une société qui doute
Dans ce pays, selon les derniers chiffres datant de maintenant plusieurs années (2015), 42% du peuple ne possède pas un accès à l’eau potable, dans les zones rurales principalement. En proie aux diffcultés de ce contexte lourd, la jeunesse oscille entre l’envie de constuire un avenir sur leurs terres et celle de partir loin de la répression, ainsi, l’émigration est un véritable sujet de société, les érythréens prennent souvent la décision de s’en aller vers l’Italie, un périple prend alors place avec la traversée du Soudan et de la Libye afin d’acheminer vers les portes de l’Europe. Les médias libres n’existent point, les rassemblements de plus de sept personnes interdits, et les organisations civiles locales se positionnent pour améliorer l’éducation, l’aide aux handicapés ou encore aux services de santé mentale, bien qu’étroitement surveillées par le gouvernement. En outre, le sport est un outil de développement social, même si contrôlé par le ministère de la Défense, se servant des différents sports pour promouvoir l’idéologie du régime et la performance de l’armée. L’élément central de cette structuration sociétale reste le service militaire obligatoire pour tous à partir de 18 ans, celui-ci est, en théorie seulement, limité à six mois de formation pour douze mois de service, mais dans les faits il reste en place de façon indéterminée. L’ensemble des élèves du pays doivent se rendre au camps miltaire de Sawa dans le but d’effectuer la dernière année de lycée, un grand nombre de la population se retrouve attaché à des travaux civils comme l’agriculture ou l’administration, sous le contrôle de l’armée. Cet enrôlement sans fin propulse la jeunesse vers d’autres pays, ce que condamne le régime, ce travail forcé est dénoncé par l’ONU et plusieurs ONG, certaines personnes témoignent de violences psychologiques et physiques fréquentes. Tout cela a pour conséquence la mauvaise santé économique du pays, car le côut est important, sans y apporter un grand bénéfice, la surveillance constante empêche les générations de constuire des projets sociaux, n’ayant aucune marge de manœuvre, la diaspora joue alors un rôle clé.
L’économie
Le secteur tertiaire reprèsente la plus grande partie du PIB, avec 52%, suivi du secteur secondaire et primaire, avec une part d’emploi de 62% dans l’agriculture, en 2024, la dette publique s’élevait à 135%. Concernant les exportations, les minerais et les métaux reprèsentent plus de 60% des marchandises acheminées vers le reste du monde. En 2023, la dette extérieure impactait 31% du PIB érythréen. Dans ce pays, le nafka fait guise de monnaie officielle depuis le 8 novembre 1997. Il est important de souligner que le pays est exclue du système SWIFT depuis 2021, compliquant l’envoi de fonds de la diaspora vers l’Érythrée, les sanctions dissuadent aussi la plupart des investisseurs étrangers.
- Danakali, entreprise australienne, forcée de se retirer d’un projet minier de potasse dans la mine de Colluli, au sud du pays, montre bien l’impact des sanctions internationales.
Dans l’objectif d’atténuer les effets, le gouvernement se tourne vers d’autres partenaires potentiels, tels que la Russie ou bien la Chine. Il faut souligner que depuis la réconcialiation avec l’Éthiopie en 2018 le pays a vu certaines restrictions se lever, meme si les Etats-Unis ciblent toujours la région.
L’armée, le rocher de l’Érythrée
Nous y trouvons trois branches, l’armée de terre, de mer et de l’air, se composant de 130 000 réservistes pour 120 000 actifs, tout en ayant une population enrôlée si un conflit devait survenir. En 2019, les dépenses de ce secteur reprèsentaient 10% du PIB. Plusieurs violations massives des droits de l’homme ont été soulignées, notamment en 2023 au Tigré. Depuis février 2025, la mobilisation nationale se fait, ce qui signifie un enregistrement des citoyens ayant moins de 60 ans, mais encore le rappel des conscrits démobilisés, des Femmes mariées ou avec un enfant, ou encore l’interdiction de quitter le pays pour toutes les personnes ayant moins de 50 ans, cette décision arrive au milieu d’une période de tensions croissantes entre l’Érythrée et son voisin éthiopien.
L’armée possède un équipement de la période soviétique :
- Des tanks comme le T-55 ou T-62.
- Des véhicules blindés, on y trouve le BRDM-2, MT-LB ou le BTR-60.
- Le BMP-1, véhicule de combat d’infanterie, majoritaire dans ce type d’exercice au sein du pays.
- Au niveau de l’aviation, le MIG-29 ou le Su-27 sont utilisés, souvent pour l’entrainement en raison des capacités de leurs modèles.
Pour terminer, la Chine, la Russie, l’Inde ou l’Égypte fournissent des équipements militaires, comme les armes par exemple.
Finalement, ce pays si stratègique de par son emplacement et son histoire se dessine comme le symbole de la lutte pour une survie difficile. L’histoire complexe et très riche de la région mène aux haines et à la soif de domination, face à une population désireuse de vivre serainement.
C’est ainsi que le vent du doute souffle sur ces terres, au milieu d’un peuple portant vers le temps qui passe un regard d’espoir, pour y trouver la vie.
SOURCES :
- African Development Bank
- Trading Economics
- Africa-energy
- Amnesty
- Human Rights Concern – Eritrea (HRCE)
- Country economy
- Our world in data
- Old maps online
- World o meters
- CIA
- OCHA
- ONU
- France 24
Polis Vox